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unique expression dans la musique, semblait avoir pris le courage de se manifester par la parole. Je lui cachais ma surprise et mon éblouissement dans la crainte de lui donner de l’orgueil, mais j’en avais pour elle. Je me sentais devenir fier d’elle autant que l’était notre mère. J’admirais surtout la beauté de ses idées et l’application qu’elle en faisait à ses sentiments. Elle n’était pas follement optimiste, on ne sentait pas l’enfant en elle. Elle ne voyait pas tout en beau, mais ce qui était noir, elle l’éclairait du rayon de son indulgence et de sa pitié. C’était comme un parti pris, et pris souverainement, d’étendre l’amour à tous les êtres et de se dévouer pour ainsi dire universellement. Elle disait avoir bien peu lu. Est-ce dans l’extase musicale qu’elle avait trouvé la révélation de ces trésors de mansuétude, de ces puissances de sagesse et d’équité ?

J’arrivai à une admiration pleine de charme et d’attendrissement ; j’en parlais avec ma mère, et je commençais à comprendre qu’une femme comme Jeanne n’eût encore trouvé personne à aimer ; même mon cher Vianne me semblait maintenant au-dessous d’elle, et je n’eusse pas osé plaider sa cause.

— C’est que tu n’as jamais deviné Jeanne, répondait ma mère ; moi, je la pressentais, je lisais en elle.