Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/220

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’amour peut se passer d’esprit. Voyons ! dis-moi que tu m’aimes ; dis-le-moi cent fois, mille fois. Je veux savourer ce mot-là, qui est toute ma vie. Tiens, dis-le ! je sens que quand je ne l’entendrai plus, je mourrai.

Je le lui répétai mille fois en couvrant ses mains et ses cheveux de baisers ardents et chastes, car le premier élan de l’amour vrai est quelque chose de paternel. L’homme sent alors le besoin de diviniser et d’adorer la faiblesse qui se réfugie dans son sein. Jusque-là, j’avais été à la fois enfiévré et honteux de la soif d’amour si ingénument avouée par ma jeune malade. Je m’étais senti brûlé en même temps qu’humilié à l’idée de ces flammes que le premier venu pouvait éteindre… Ravie et calme entre mes bras, Manuela réhabilitait ma défaite : elle ne se livrait pas au démon, elle me faisait monter avec elle à la région des anges.

Pauvre fille inconsciente comme la colombe, mais comme elle ardente et douce ! Je l’avais méconnue en la supposant capable d’un calcul. Elle se livrait tout entière sans vouloir regarder derrière elle, et c’était bien son âme qu’elle donnait sans être entraînée par les sens. Les sens ! il semblait qu’elle n’eût jamais compris leur langage, jamais écouté leurs suggestions. Entourée de mes bras, serrée contre ma poitrine, elle