Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/181

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Il faut dire aussi, observa Dolorès, que vous ne vous livrez pas quand un homme vous regarde ; vous dansez dix fois mieux quand nous sommes seules.

Je vis qu’on avait envie de recommencer, je m’esquivai et je ne travaillai guère mieux que la veille. J’étais forcé de convenir avec moi-même de l’obsession que je subissais. Je résolus de la traiter comme une maladie dont je devais observer les symptômes. Tout m’en faisait un devoir des plus sérieux. Manuela n’aimait au monde que sir Richard. Sir Richard, de quelque manière qu’il aimât sa fille adoptive (je ne pensais plus que ce fût avec passion), l’avait confiée à mon honneur. Il eût fallu pouvoir m’éloigner d’elle sur-le-champ, je ne le pouvais pas, j’avais juré de veiller de près sur elle. Il fallait donc accepter la souffrance de ma situation, vivre de dépit rentré, de jalousie surmontée, d’entraînements vaincus. Tout cela ne pouvait pas durer plus d’une huitaine de jours. Il faudrait, pensai-je, être bien faible et bien lâche pour ne pas savoir souffrir huit jours. Et qu’importe que je souffre, pourvu que je ne me trahisse pas ?

Je n’étais pas inquiet de ce côté-là, l’orgueil est une bonne armure à défaut de vertu. Je ne pouvais me trahir qu’en me rendant odieux et ridicule. Je