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mencer pour arriver à quoi ? L’avenir de cette fille appartient à M. Brudnel, et ce qu’elle a mis dans ma vie écoulée n’est certes pas digne de regret. Elle m’a inoculé la maladie du doute, elle m’a rendu amer et sceptique en fait d’amour, à l’âge heureux des illusions. Si elle était libre aujourd’hui, je ne pourrais l’aimer qu’avec les plus douloureuses restrictions. Hélas ! sans le savoir, Jeanne a raison ; je ne croirai plus, et, quel qu’il soit, le passé d’une femme sera pour moi comme un obstacle à la foi ou à la sécurité.

En pensant à l’angélique droiture de ma mère et de ma sœur, je ne vis plus en Manuela qu’un fantôme sans consistance, et ma nuit de fièvre me parut le résultat d’une simple irritation nerveuse. J’allai faire de l’histoire naturelle dans les îles du lac. Ce beau pays, tout lumière, avec ses fonds violets où les eaux sillonnaient de reflets d’argent la base des montagnes, cette profondeur limpide, miroir ardent qui doublait la puissance du soleil, ces rivages frais, ces longs murmures mystérieux des petites vagues, tout portait au rassérènement.

La nuit venue, devant garder le fragile trésor de mon patron, je rentrai, et je commençais à lire quand la suivante espagnole frappa à ma porte. Je crus que c’était encore Manuela. Je m’étais enfermé. J’allai ou-