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prise d’un ennui profond et d’un secret découragement. J’avais été plus libre et plus gaie dans mon couvent d’Espagne. On y dansait le bolero en cachette, on y parlait d’amour, on chantait des romances à voix basse, il y avait peu de régularité dans les habitudes. À Paris, c’était une autre tenue. Je ne sais si les jeunes filles parlaient des plaisirs du monde ; je vivais presque seule ou dans la société des maîtresses, qui n’étaient pas gaies et qui me faisaient l’effet de prudes très-mécontentes de leur sort.

» Mes maîtres n’étaient ni beaux ni jeunes, sauf le professeur de musique, ni beau ni laid, mais vif, enthousiaste, un peu fou. Il tomba épris de moi et me le laissa voir. Je me sentis très-émue, et la peur s’empara de ma pauvre tête. J’obtins un jour d’être seule avec M. Brudnel et je le suppliai de me faire changer de pension ou de me faire voyager avec lui. Il me gronda un peu, m’interrogea avec bonté, et je lui avouai la vérité.

» Je me sens en danger, lui dis-je, je ne sais quelle fièvre m’attire vers ce musicien. Je me suis juré d’être sage et de devenir forte ; je sens que je ne le suis pas, que je ne sais pas encore rester calme quand on me parle d’amour.

« — Oui, je vois cela, répondit M. Brudnel, le be-