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ou pour toute autre destination inconnue, car il donnait rarement de ses nouvelles, et nous passions souvent deux et trois mois sans savoir où il était.

L’année suivante, ma mère et ma sœur retournèrent avec lui à l’auberge de la vallée de Luz dès le milieu de l’été ; j’allai les rejoindre aussitôt que mes vacances furent ouvertes, et je passai encore là deux mois d’ivresse et de fiévreuse activité.

— Le beau montagnard ! disait tout bas mon père à sa femme. Quel dommage…

— Tais-toi, mon grand diable, répondait-elle, souviens-toi de ta parole.

— C’est parce que je m’en souviens, reprenait-il, que je regrette quelquefois de faire de mon fils un bourgeois et non un homme !

De semblables paroles que je saisis plusieurs fois au passage me donnèrent à réfléchir. Un bourgeois n’était-il point un homme ?

— D’où vient alors, pensais-je, que ma mère me condamne à cette infériorité ?

Je continuais pourtant à m’instruire, non plus tant par point d’honneur que parce que j’avais goût à l’étude. L’histoire surtout m’intéressait. Le grec et le latin ne me passionnaient pas, mais l’extrême facilité et la prodigieuse mémoire dont j’étais doué me per-