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perdit sa gravité, et que le sbire, qui avait bien la meilleure figure de sbire que l’on puisse imaginer, se laissa gagner par le rire sans savoir pourquoi. Mais, craignant d’avoir dérogé à la dignité de son rôle, il fit aussitôt une grimace épouvantable ; et, montrant la porte à Catullo : Allons, dit-il en voilà assez. Catullo partit après avoir baisé les mains du docteur en le conjurant d’aller chez le commissaire. — Va-t’en bien vite, chien maudit ! lui dit le docteur, qui, commençant à se sentir attendri, redoublait de manières bourrues, selon sa coutume. Je veux être damné si je m’occupe de toi. — Et aussitôt que le criminel fut hors de la chambre, il prit son chapeau et courut chez le commissaire. Là il apprit que l’affaire était plutôt comique que sérieuse, qu’on avait arrêté une quarantaine de Nicoloti, et parmi eux tous les gondoliers du traguet de la Madonetta, dont faisaient partie Catulus pater et filius ; mais que, après les avoir tenus quatre ou cinq jours sous les verrous pour les effrayer, on les laisserait aller en paix à leurs affaires.



III

Venise, juillet 1834

Depuis quelques jours, nous errons sur l’archipel vénitien, cherchant un peu d’air vital hors de cette ville de marbre qui est devenue un miroir ardent ; ce mois-ci surtout, les nuits sont étouffantes. Ceux qui habitent l’intérieur de la cité dorment tout le jour, les uns sur leurs grands sofas, si bien adaptés à la mollesse du climat, les autres sur le plancher des barques. Le soir, ils cherchent le frais sur les balcons, ou prolongent la veillée sous les tentes des cafés. Lesquels heureusement ne se ferment jamais. Mais on n’entend