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— Dangereux ! lui dis-je en haussant les épaules ; allons, voilà de la prétention. Mes pauvres amis ! vous vous battez les flancs pour soutenir l’antique réputation de votre patrie ; mais vous avez beau faire, vous n’êtes plus rien, pas même assassins ! Vous n’avez pas une femme capable de toucher à un poignard sans tomber évanouie ni plus ni moins qu’une petite-maîtresse parisienne, et vous chercheriez longtemps avant de trouver un bravo pour seconder un projet de meurtre, eussiez-vous à lui offrir tout le trésor de Saint-Marc en récompense.

Le docteur fit un petit mouvement du doigt par lequel les Vénitiens expriment beaucoup de choses, et qui piqua ma curiosité. — Voyons, lui dis-je, qu’avez-vous à répondre ? — Je réponds, dit-il, de vous trouver, avant douze heures, pour la modique somme de cinquante francs tout au plus, un bon spadassin capable de donner, à qui bon vous semblera, une coltellata d’aussi solide qualité que si nous étions en plein moyen âge.

— Grand merci, mon maître, répondis-je. Cependant une coltellata me paraît une chose si romantique et tellement adaptée à la mode nouvelle, que je voudrais en recevoir une, dût-elle me retenir trois jours au lit.

— Les Français se moquent de tout, reprit-il, et ils ne sont pas plus terribles que les autres en présence du danger. Pour nous, nous sommes heureusement très-dégénérés dans l’art du couteau ; cependant il y a encore des amateurs qui le cultivent, et il n’y a pas de danger qu’il se perde comme les autres arts.

— Vous ne me ferez pas croire que cela entre dans l’éducation de vos dandies ?

— Cela n’entre dans celle de personne, répondit-il d’un air un peu suffisant. Cependant, il y a dans la main d’un Vénitien une certaine adresse naturelle qui le rend capable de devenir habile en peu de temps. Tenez, essayons cela ensemble. — Il alla prendre sur son bureau un vieux petit