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pendent de très-belles stalactites. Mais c’est une des curiosités qui ont le tort d’entretenir l’inutile et insupportable profession de touriste. Il me semble déjà voir arriver, malgré la neige qui couvre les Alpes, ces insipides et monotones figures que chaque été ramène et fait pénétrer jusque dans les solitudes les plus saintes ; véritable plaie de notre génération, qui a juré de dénaturer par sa présence la physionomie de toutes les contrées du globe, et d’empoisonner toutes les jouissances des promeneurs contemplatifs, par leur oisive inquiétude et leurs sottes questions.

Je retournai à la troisième grotte ; c’est celle qui arrête le moins l’attention des curieux, et c’est la plus belle. Elle n’offre ni souvenirs dramatiques, ni raretés minéralogiques. C’est une source de soixante pieds de profondeur, qu’abrite une voûte de rochers ouverte sur le plus beau jardin naturel de la terre. De chaque côté se resserrent des monticules d’un mouvement gracieux et d’une riche végétation.

En face de la grotte, au bout d’une perspective de fleurs et de pâle verdure, jetées comme un immense bouquet que la main des fées aurait délié et secoué sur le flanc des montagnes, s’élève un géant sublime, un rocher perpendiculaire, taillé par les siècles sur la forme d’une citadelle flanquée de ses tours et de ses bastions. Ce château magique, qui se perd dans les nuages, couronne le tableau frais et gracieux du premier plan, d’une sauvage majesté. Contempler ce pic terrible, du fond de la grotte, au bord de la source, les pieds sur un tapis de violettes, entre la fraîcheur souterraine du rocher et l’air chaud de vallon, c’est un bien-être, c’est une joie que j’aurais voulu me retirer pour te l’envoyer.

Des roches éparses dans l’eau s’avancent jusqu’au milieu de la grotte. Je parvins à la dernière et me penchai sur ce miroir de la source, transparent et immobile comme un bloc d’émeraude. Je vis au fond une figure pâle dont le calme me fit peur. J’essayai de lui sourire, et elle me rendit mon sourire