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contrevents fermés, ces allées dépeuplées d’enfants, cette brouette qui t’a sauvé de tant d’accès de spleen et qui est brisée dans un coin, tout cela est bien triste. J’ai été voir la chèvre ; elle n’a voulu manger aucune des herbes que je lui offrais ; elle bêlait tristement ; j’ai pensé un instant qu’elle me demandait ce qu’était devenu son maître.

En remontant la Rochaille, j’ai pris par habitude le chemin de Nohant. Un instant j’ai oublié où j’allais ; je voyais devant moi cette route qui monte en terrasse, et au sommet les tourelles blanches et la garenne de notre chevaleresque voisin, de notre loyal ami le châtelain d’Ars. Derrière cette colline, je ne voyais pas, mais je pressentais mon toit, les murs amis de mon enfance, les noyers de mon jardin, les cyprès des morts chéris. Je marchais vite et d’un pied léger ; j’allais comme dans un rêve, m’étonnant de ma longue absence, me hâtant d’arriver. Tout d’un coup je me suis aperçu de ma distraction ; je me suis rappelé que la haine avait fait de la maison de mes pères une forteresse dont il me fallait faire le siége en règle avant d’y pénétrer. Ô Marie ! ô mon aïeule aux cheveux blancs ! quand j’ai dit adieu au seuil sacré, j’ai emporté une branche de l’arbre qui abrite ton éternel sommeil. Est-ce là tout ce qui doit à jamais me rester de toi ? Tu dors auprès de ton fils bien-aimé ; mais à ta gauche n’y a-t-il pas une place vide qui m’est réservée ? Mourrai-je sous un ciel étranger ? Irai-je traîner une vieillesse misérable loin de l’héritage que tu me conservais avec tant d’amour, et où j’ai fermé tes yeux, comme je souhaite que mes enfants ferment les miens ? Ô grand’mère ! lève-toi et viens me chercher ! Déroule ce linceul où j’ai enseveli ton corps brisé par son dernier sommeil ; que tes vieux os se redressent et que ton cœur desséché palpite à cette chaleur bienfaisante de midi. Viens me secourir ou me consoler. Si je dois être à jamais banni de chez toi, suis-moi au loin. Comme les sauvages du Meschacébé, je porterai ta dépouille sur mes épaules, et elle me