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acceptant, sans y songer, des amertumes qui m’eussent déterminé au suicide, si je les eusse prévues il y a deux ans, lorsque je t’écrivais : « Tout est fini pour moi. »

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On vient d’ouvrir l’écluse de la rivière. Un bruit de cascade, qui me rappelle la continuelle harmonie des Alpes, s’élève dans le silence. Mille voix d’oiseaux s’éveillent à leur tour. Voici la cadence voluptueuse du rossignol ; là, dans le buisson, le trille moqueur de la fauvette ; là-haut, dans les airs, l’hymne de l’alouette ravie qui monte avec le soleil. L’astre magnifique boit les vapeurs de la vallée et plonge son rayon dans la rivière, dont il écarte le voile brumeux. Le voilà qui s’empare de moi, de ma tête humide, de mon papier… Il me semble que j’écris sur une tablette de métal ardent… tout s’embrase, tout chante. Les coqs s’éveillent mutuellement et s’appellent d’une chaumière à l’autre ; la cloche de la ville sonne l’Angelus ; un paysan, qui recèpe sa vigne au-dessus de moi, pose ses outils et fait le signe de la croix… À genoux, Malgache ! où que tu sois, à genoux ! Prie pour ton frère qui prie pour toi.

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Il doit être huit heures, le soleil est chaud, mais à l’ombre l’air est encore froid. Me voici au revers du rocher dans le plus profond du ravin, je suis caché et abrité du vent comme dans une niche. Le soleil réchauffe mes pieds mouillés dans l’herbe. Je les ai posés nus sur la pierre tiède et saine, tandis que je déjeune pythagoriquement avec mon pain et l’eau du joli ruisseau qui chante sous les joncs à côté de moi.

Le sentier là-haut est maintenant couvert de villageois qui vont à la messe. J’attendrai, pour traverser les longues herbes du fond de la vallée, que le bon soleil les ait aspirées. Dans une heure j’y passerai à pied sec. La rivière s’est endormie hors de son lit. Le sentier est noyé sous une nappe