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délicieux d’abandon et de désordre au dehors, n’étais-tu pas déjà mon refuge et mon abri ? ne m’appartenais-tu pas en quelque sorte, et ne te préférais-je pas aux palais que les hommes recherchent ? Ah ! tu aurais suffi aux besoins et aux désirs de ma vie entière. J’aurais lu les Pères de l’Église et les traités des saints sur la vie solitaire dans ta monastique enceinte ! J’aurais fait ici de beaux rêves de perfection, si faciles à exécuter loin des bruits du monde et des vains discours des hommes ! je m’y serais purifié des souillures de la vie ; je m’y serais enseveli comme dans un cercueil de marbre sans tache ; j’aurais mis tes vieux murs et tes rideaux de vigne en fleur entre le siècle pervers et mon âme timorée. Je n’en serais sorti que pour essayer de bonnes œuvres ; j’y serais rentré dès que ma tâche eût été accomplie, afin de ne pas en commettre de mauvaises : et tu veux déjà retourner à la terre, des entrailles de laquelle les matériaux sont sortis ? Fatiguée d’obéir aux volontés de l’homme, tu veux te briser et t’abattre pour te reposer, matière que la pensée humaine avait animée ! Et quand je repasserai ici, je ne trouverai peut-être plus que des ruines à cette place où j’ai salué des lambris hospitaliers ! — Mais de quoi m’occupé-je, ô insensé ! Insecte à peine éclos ce matin, je m’inquiète de la destruction de la pierre et de la courte durée du ciment séculaire, quand ce soir je ne serai déjà plus ; je plains ces murs qui se fendent, et les rides qui s’amassent à mon front, je ne les compte pas ! Avant que ces herbes soient flétries, mes cheveux peut-être auront quitté mon crâne ; avant que la gelée du prochain hiver ait partagé ces dalles, mon cœur se sera à jamais glacé dans la tombe. Qu’est-ce que la vie de l’homme dont il compte tous les instants, sachant que le dernier s’approche et qu’il n’y échappera pas ? Ces murs, ces festons de lierre, ces tilleuls que le houblon embrasse, ces grands pignons qui semblent vouloir déchirer le ciel et que ronge l’humidité de la lune, tout cela songe-t-il à la destruction ? toutes ces choses en-