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Vous souvenez-vous de cette blonde péri à la robe d’azur, aimable et noble créature, qui descendit, un soir, du ciel dans le grenier du poëte, et s’assit entre nous deux, comme les merveilleuses princesses qui apparaissent aux pauvres artistes dans les joyeux contes d’Hoffmann ? Vous souvenez-vous de cette autre visite moins fantastique, mais grotesque en revanche, où nous nous conduisîmes en écoliers effrontés, au point que j’en ris encore, seul dans les ténèbres de la nuit… Chut ! les échos de la maison déserte, peu habitués à une pareille inconvenance, s’éveillent et me répondent d’un ton irrité. Les dieux Lares se regardent avec étonnement et délibèrent de me chasser. — Pardon et soumission devant vous, hôtes mystérieux qui souffrez ici ma présence ! vous savez que je vous respecte et vous crains ; vous savez que je n’ai pas ouvert les persiennes aux rayons du soleil depuis que j’habite parmi vous ; vous savez que je n’ai pas relevé les rideaux pour faire pénétrer les regards profanes des voisins dans vos retraites sacrées. Je n’ai pas brisé les rameaux de la vigne qui tapisse les murs. J’ai lu le beau livre de Lavater avec précaution et sans en essuyer la vénérable poussière. Je n’ai dérangé aucun meuble. Je n’ai pas cueilli les fleurs du préau. Je n’ai brisé aucune plante. J’ai marché sur la pointe du pied durant les nuits, pour ne point troubler la solennité de vos mystères. Ne me bannissez pas, ô dieux amis de l’homme pieux ! n’envoyez point les larves et les lamies me tourmenter dans mon sommeil ; et si vous m’apparaissez, que ce soit sous la forme des ombres de mes frères, avec leurs paroles de conseil et d’encouragement sur les lèvres.

Il est remarquable qu’étant excessivement poltron j’aime autant la vie d’anachorète. C’est que j’aime ma peur elle-même ; elle me détache du monde réel, et les émotions qu’elle me procure me font sentir vivement combien je suis spiritualiste dans mes croyances et dans mes superstitions. La nuit, quand la lune se couche derrière les flèches