Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/222

Cette page n’a pas encore été corrigée

de votre poche, quoi ? Estelle et Némorin ou Robinson Crusoé ! Oh ! alors la grand’mère sourit. Rassurez-vous, votre trésor vous sera rendu ; mais il ne faudra pas désormais oublier l’heure du souper. Heureux temps ! ô ma Vallée Noire ! ô Corinne ! ô Bernardin de Saint-Pierre ! ô l’Iliade ! ô Millevoye ! ô Atala ! ô les saules de la rivière ! ô ma jeunesse écoulée ! ô mon vieux chien qui n’oubliait pas l’heure du souper, et qui répondait au son lointain de la cloche par un douloureux hurlement de regret et de gourmandise !

Mon Dieu ! que vous disais-je ? Je voulais vous parler de Lavater, et en effet me voici sur la voie. J’avais eu Lavater entre les mains dans mon enfance. Ursule et moi, nous en regardions les figures avec curiosité. À peine savions-nous lire. Nous nous demandions pourquoi cette collection de visages bouffons, grotesques, insignifiantes, hideux, agréables ? nous cherchions avec avidité, au milieu de ces phrases et de ces explications que nous ne pouvions comprendre, la désignation principale du type ; nous trouvions ivrogne, paresseux, gourmand, irascible, politique, méthodique… Oh ! alors nous ne comprenions plus, et nous retournions aux images. Cependant nous remarquions que l’ivrogne ressemblait au cocher, la femme tracassière et criarde à la cuisinière, le pédant à notre précepteur, l’homme de génie à l’effigie de l’empereur sur les pièces de monnaie, et nous étions bien convaincus de l’infaillibilité de Lavater. Seulement cette science nous semblait mystérieuse et presque magique. Depuis, le livre fut égaré. En 1829, je rencontrai un homme très-distingué qui croyait fermement à Lavater, et qui me rendit témoin de plusieurs applications si miraculeuses de la science physiognomonique, que j’eus un vif désir de l’étudier. Je tâchai de me procurer l’ouvrage ; il ne se trouva pas. Je ne sais quelle préoccupation vint à la traverse, je n’y songeai plus.

Enfin ici, le jour de mon arrivée, j’ouvre une armoire pleine de livres, et le premier qui me tombe sous la main,