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VII

À FRANZ LISTZ

SUR LAVATER ET SUR UNE MAISON DÉSERTE.


Ne sachant où vous êtes maintenant, mon cher Franz, ne sachant pas mieux où je vais aller, je vous fais passer de mes nouvelles par notre obligeant ami M***. Je pense qu’il saura découvrir votre retraite avant moi, qui suis confiné dans la mienne pour quelques jours encore.

Je n’ai pas besoin de vous dire le regret que j’éprouve de ne pouvoir vous aller rejoindre. Je vois partir votre mère et Puzzi avec sa famille. Je présume que vous allez fonder, dans la belle Helvétie ou dans la verte Bohême, une colonie d’artistes. Heureux amis ! que l’art auquel vous vous êtes adonnés est une noble et douce vocation, et que le mien est aride et fâcheux auprès du vôtre ! Il me faut travailler dans le silence et la solitude, tandis que le musicien vit d’accord, de sympathie et d’union avec ses élèves et ses exécutants. La musique s’enseigne, se révèle, se répand, se communique. L’harmonie des sons n’exige-t-elle pas celle des volontés et des sentiments ? Quelle superbe république réalisent cent instrumentistes réunis par un même esprit d’ordre et d’amour pour exécuter la symphonie d’un grand maître ! Quand l’âme de Beethoven plane sur ce chœur sacré, quelle fervente prière s’élève vers Dieu !

Oui, la musique, c’est la prière, c’est la foi, c’est l’amitié, c’est l’association par excellence. Là où vous serez seulement trois réunis en mon nom, disait le Christ aux apôtres en les quittant, vous pouvez compter que j’y serai avec vous.