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verte dans les fossés, pas un insecte dans l’herbe, pas un chien qui aboie à l’horizon, le murmure de la rivière ne nous arrive même pas ; le vent souffle au sud et l’emporte en traversant la vallée. Il semble que tout se taise pour écouter et recueillir avidement cette voix brûlante de désirs et palpitante de joies que le rossignol exhale. Ô chantre des nuits heureuses ! comme l’appelle Obermann… Nuits heureuses pour ceux qui s’aiment et se possèdent ; nuits dangereuses à ceux qui n’ont point encore aimé ; nuits profondément tristes pour ceux qui n’aiment plus ! Retournez à vos livres, vous qui ne voulez plus vivre que de la pensée, il ne fait pas bon ici pour vous. Les parfums des fleurs nouvelles, l’odeur de la séve, fermentent partout trop violemment ; il semble qu’une atmosphère d’oubli et de fièvre plane lourdement sur la tête ; la vie de sentiment émane de tous les pores de la création. Fuyons ! l’esprit des passions funestes erre dans ces ténèbres et dans ces vapeurs enivrantes. Ô Dieu ! il n’y a pas longtemps que j’aimais encore et qu’une pareille nuit eût été délicieuse. Chaque soupir du rossignol frappe la poitrine d’une commotion électrique. Ô Dieu ! mon Dieu, je suis encore si jeune !

Pardon, pardon, mon ami, mon frère ! à cette heure-ci, tu regardes ces blanches étoiles, tu respires cette nuit tiède, et tu penses à moi dans le calme de la sainte amitié ; moi, je n’ai pas pensé à toi, Éverard ! J’ai senti des larmes sur mes joues, et ce n’était ni la puissance de ta forte parole, ni les émotions de tes tragiques et glorieux récits qui les faisaient couler ; mais c’est un éclair pâle qui a glissé sur l’horizon, c’est un fantôme incertain qui a passé là-bas sur les bruyères. Tout est dit : l’esprit du météore n’a plus de pouvoir sur moi, son rayon fugitif peut me faire tressaillir encore comme un voyageur peu aguerri contre les terreurs de la nuit ; mais j’entends, du haut de ces étoiles qui nous servent de messagers, ta voix austère qui m’appelle et me gourmande. Fanatique sublime, je vous suis : ne craignez