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bien ni mal ; on ne peut plus les faire tomber ; ils se sont précipités. Puissent-ils, comme Curtius, apaiser la colère céleste et fermer l’abîme derrière eux !

Mais il me semble, François, que je deviens emphatique ; heureusement j’aperçois venir mon vieux Malgache : il y a quinze mois que je ne l’ai vu ; il vient tout essoufflé, tout palpitant de joie. Le voilà sous ma fenêtre ; mais, diable ! il s’arrête ; il vient, d’apercevoir une violette difforme, il la cueille, et cela lui donne à penser. Me voilà effacé de sa mémoire ; si je ne vais à sa rencontre, il retournera chez lui avec sa violette monstre et sans m’avoir vu. J’y cours. Adieu, Pylade.



VI

À ÉVERARD


11 avril 1835.

Ton ami le voyageur est arrivé au gîte sans accident ; il est heureux et fier du souvenir que tu as gardé de lui. Il ne se flattait pas trop à cet égard ; il croyait qu’une âme aussi active, aussi dévorante que la tienne, devait recevoir vivement les moindres impressions, mais les perdre aussi vite pour faire place à d’autres. C’est un devoir et une nécessité pour toi d’être ainsi ; tu n’appartiens pas à certains élus, tu appartiens à tous les hommes, ou plutôt tous t’appartiennent. Pauvre homme de génie ! cela doit bien te lasser. Quelle mission que la tienne ! c’est un métier de gardeur de pourceaux ; c’est Apollon chez Admète.

Ce qu’il y a de pis pour toi, c’est qu’au milieu de tes troupeaux, au fond de tes étables, tu te souviens de ta di-