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assez. Leur douleur n’a plus rien de poétique ; la douleur n’embellit que ce qui est beau.

La pâleur divinise la beauté des femmes et ennoblit la jeunesse des hommes. Mais, quand le chagrin se manifeste par d’irréparables ravages, quand il creuse des sillons à des fronts flétris, on le sent maussade et dangereux. On le cache comme un vice, on le dérobe à tous les regards, de peur que la crainte de la contagion n’éloigne les heureux d’auprès de vous. C’est alors vraiment qu’on est digne de plainte ; car on ne se plaint pas, et l’on craint d’être plaint. C’est à cet âge-là que les amis contemporains se comprennent d’un regard, et qu’il suffit d’un mot pour se raconter l’un à l’autre toute sa vie passée.

D’où vient que, quand nous nous retrouvons après une séparation de quelques mois, tu lis si bien sur mon visage l’histoire des maux que j’ai soufferts ? D’où vient que tu me dis dès l’abord en me serrant la main : « Eh bien ! eh bien ! telle chose est arrivée, voilà ce que tu as fait ; je comprends ce que tu as dans le cœur ? » Oh ! comme tu me racontes exactement alors les moindres détails de mon infortune ! Pauvres humains que nous sommes ! ces douleurs dont nous parlons avec tant d’emphase, et dont nous portons le fardeau avec tant d’orgueil, tous les connaissent, tous les ont subies ; c’est comme le mal de dents ; chacun vous dit : — Je vous plains, cela fait grand mal ; — et tout est dit.

Triste ! ô triste ! Mais l’amitié a cela de beau et de bienfaisant qu’elle s’inquiète et s’occupe de vos maux comme s’ils étaient uniques en leur espèce. Ô douce compassion, maternelle complaisance pour un enfant qui pleure et qui veut qu’on le plaigne ! qu’il est suave de te trouver dans l’âme sérieuse et mûre d’un ancien ami ! Il sait tout, il est habitué à toucher vos plaies ; et pourtant il ne se blase pas sur vos souffrances, et sa pitié se renouvelle sans cesse. Amitié ! amitié ! délices des cœurs que l’amour maltraite et abandonne ; sœur généreuse qu’on néglige et qui pardonne