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de nous ? Non, je n’ai pas fait autre chose, et je n’ai pas voulu faire autre chose. Je n’ai pas voulu qu’on cherchât, sous le déguisement de ce problématique voyageur, le secret d’une individualité bizarre ou remarquable. On ne peut pas me supposer un soin si puéril quand on voit combien je me suis peu ménagé en ouvrant mon cœur sanglant à l’expérimentation psychologique. Si je l’ai fait, si je me suis dévoué à ce supplice, sans honte et sans effroi, c’est que je connaissais bien aussi les plaies qui rongent les hommes de mon temps, et le besoin qu’ils ont tous de se connaître, de s’étudier, de sonder leurs consciences, de s’éclairer sur eux-mêmes par la révélation de leurs instincts et de leurs besoins, de leurs maux et de leurs aspirations. Mon âme, j’en suis certain, a servi de miroir à la plupart de ceux qui y ont jeté les yeux. Aussi plusieurs s’y sont fait peur à eux-mêmes, et, à la vue de tant de faiblesse, de terreur, d’irrésolution, de mobilité, d’orgueil humilié et de forces impuissantes, ils se sont écriés que j’étais un malade, un fou, une âme d’exception, un prodige d’orgueil et de scepticisme. Non, non ! je suis votre semblable, hommes de mauvaise foi ! Je ne diffère de vous que parce que je ne nie pas mon mal et ne cherche point à farder des couleurs de la jeunesse et de la santé mes traits flétris par l’épouvante. Vous avez bu le même calice, vous avez souffert les mêmes tourments. Comme moi vous avez douté, comme moi vous avez nié et blasphémé, comme moi vous avez erré dans les ténèbres, maudissant la Divi-