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les sept cordes de la lyre

des magiciens, des sibylles, enfin, de quelque nom qu’on les appelle, des hommes illuminés, auraient, dans tous les temps, vécu en commerce avec les purs esprits du monde invisible, sans pouvoir associer leurs semblables à la connaissance de vérités consolantes et sublimes ! Quoi ! ils auraient vu face à face Dieu, ou ses anges, ou les esprits ses ministres, sans réussir à promulguer une foi basée sur la certitude, sur le témoignage des sens joint à celui de l’esprit ! Clouée sur le seuil d’une vie amère et désolée, l’humanité aurait vu quelques élus franchir ces portiques du monde idéal, et, pour se venger de leur bonheur, elle les aurait condamnés au gibet, au bûcher, à l’infamie, au ridicule, au martyre sous toutes les formes !

albertus. Oh ! s’il en était ainsi, que notre philosophie serait ridicule et méprisable ! C’est nous autres qu’il faudrait fouetter sur les places publiques, et mettre au pilori, comme faussaires et blasphémateurs !

hanz. Maître, est-ce vers les sorciers, est-ce vers les philosophes que vous penchez en cet instant ?

albertus. Que t’en semble à toi-même, apprenti philosophe ? Attends-tu de ma réponse la solution du grand problème de ta croyance ? Si tu doutes de ma conviction en cet instant, c’est que tu n’es pas bien sûr de la tienne propre, et, s’il faut tout te dire, mon cher Hanz, je te soupçonne fort depuis quelque temps de te perdre un peu dans les nuages de l’illuminisme. Ne serais-tu point affilié à quelque société secrète ?

hanz. Depuis quelque temps, vous me raillez, mon bon maître, pour détourner mes questions. Je me réjouirais de vous voir en si joyeuse humeur si je ne savais que, chez les esprits sérieux, l’ironie n’est pas l’indice du calme et du contentement intérieur.