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les sept cordes de la lyre

avez faites pour retrouver sur cette lyre quelque trace du génie éteint de nos pères. J’ai vu ici un poète s’évertuer à toucher des cordes muettes et se persuader qu’il nous versait des torrents d’harmonie : ceci est le fait de l’impuissance jointe à un orgueil démesuré. J’ai vu un peintre s’efforcer de saisir du moins la forme de l’art, et, au lieu d’une étude consciencieuse et patiente, produire une fantaisie monstrueuse qu’il croyait empreinte d’une grâce ineffable : ceci est encore le fait de l’impuissance jointe à la vanité aveugle. Enfin, j’ai vu un compositeur qui produisait au hasard des sons bruyants et d’une insupportable dissonance. Habitué qu’il est à mépriser le chant et à surprendre les sens par une confusion d’instruments dont il prend le bruit pour de l’harmonie, il a perdu jusqu’au sens de l’ouïe, et ne se fait plus souffrir lui-même de ses exécrables aberrations : ceci est toujours le fait d’une impuissance sans remède, jointe à une confiance grossière. C’est un spectacle bien triste pour celui qui, d’une main assurée, tient la balance de la critique, de voir tant d’avortements misérables et de honteuses défections. Cette douloureuse expérience nous confirme dans la conviction pénible, mais irrévocable, que l’inspiration n’existe plus, et que nos pères ont emporté dans la tombe tous les secrets du génie. Il ne nous reste plus que l’étude laborieuse et l’examen austère et persévérant des moyens par lesquels ils ont revêtu de formes irréprochables les créations de leur intelligence féconde. Travaillez donc, ô artistes ! travaillez sans relâche, et, au lieu de tourmenter inutilement vos imaginations déréglées pour leur faire produire des monstres, appliquez-vous à encadrer, du moins, dans des lignes pures et