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les sept cordes de la lyre

le critique. J’en doute. Aujourd’hui, l’on ne fait rien qui vaille, et ceci est un chef-d’œuvre.

le peintre. En admirant ceci, vous vous sentez à l’aise. On n’est pas jaloux des morts.

le poëte. Ah ! mon cher, on ne saurait nier que votre art ne soit en pleine décadence…

le peintre. Ma foi, je n’ai pas lu, depuis dix ans, une seule strophe qui valût celle-ci.

le maestro. La strophe n’est pas mauvaise, je la mettrai en musique ; mais je me garderai bien de la faire accompagner sur un instrument de ce genre. Il est d’une construction détestable, et la musique, aujourd’hui, est trop savante, trop étendue, trop compliquée, pour être exécutée par de pareils chaudrons.

le critique. La musique, la peinture et la poésie sont ensevelies dans le même cercueil, mes chers amis, Il n’y a plus qu’une puissance, la critique.

le peintre. Et à quoi sert-elle ? que gouverne-t-elle, cette puissance ? S’il n’y a plus d’art, il n’y a plus rien à critiquer, et la critique peut se coucher tout de son long sur notre tombe, comme un chien sur la dépouille de son maître. Voyons, franchement, à quoi sert-elle ?

le critique. Elle sert à tracer des épitaphes.

le peintre. C’est-à-dire que vous faites un métier de croque-mort. Peu m’importe, mon bon ami. Jette à ton aise des fleurs sur mon tombeau ; j’ai toujours ouï dire que les arrêts de la critique portaient bonheur aux artistes. En attendant, fais-moi l’amitié de tenir un peu la lyre… comme cela… bien ! Je vais me hâter de faire un croquis des figurines, pendant que vous débattrez le prix avec maître Jonathas ; car, pour moi, je n’achète pas.