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les sept cordes de la lyre

qu’il croyait avoir été sorcier, et sur sa lyre, qu’il croyait ensorcelée. Le fait est qu’il vous fit une si belle peur le jour où il vous surprit grattant les cordes du pauvre instrument, que vous en eûtes une fièvre cérébrale. Il est de la nature de ces maladies de recommencer avec les causes qui les ont fait naître. Voilà pourquoi maître Albertus vous a défendu de toucher à la lyre. S’il était plus prudent, il la cacherait ; car vous n’avez qu’à avoir la fantaisie d’y toucher encore, et, cette fois, vous seriez folle pour toute votre vie. Cela serait fâcheux pour lui ; car vous ne pourriez pas vous marier, et vous resteriez à sa charge. Le cher homme n’est pas riche. Il est forcé, par manque d’argent autant que par amour pour la philosophie, de porter ses habits un peu râpés, et son potage est aussi maigre que sa personne.

hélène, s’éloignant de la lyre avec effroi. Oh ! oui, Albertus vit de privations, et, moi, je ne manque de rien. C’est la vérité. Comment n’ai-je pas encore songé à la dépense que je lui occasionne ? Je ne pense à rien, moi !… Ah ! j’épouserai qui l’on voudra pour le débarrasser de moi.

méphistophélès. Moi, je vous conseille de prendre Carl. C’est le mieux tourné, le plus riche et le moins pédant des trois. Mais cela ne me regarde pas, direz-vous. Au reste, votre tuteur vous aime tant, qu’il pourra vous épouser lui-même, quoiqu’il soit d’âge à être votre père. Il est vrai que, s’il a des enfants, il faudra qu’il demande l’aumône… Mais, quand on aime, tout est bonheur et poésie, n’est-ce pas ?

hélène. Tout ce que vous dites est amer comme du fiel. J’aimerais mieux mendier moi-même que d’augmenter la gêne de mon respectable ami.