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les sept cordes de la lyre

l’esprit si borné et la mémoire si faible, que je ne puis faire de progrès. Ah ! cette longue maladie a épuisé ma pauvre tête. Quelle langueur pénible s’empare de moi quand j’ouvre ces gros livres ! Rien que leur odeur de parchemin moisi me fait défaillir, et tous ces caractères alignés et pressés avec une désespérante symétrie me donnent des vertiges. Ce brave maître ! sa douceur et sa patience ajoutent à ma honte et à mes remords. Je vois bien qu’il est affligé du peu d’honneur que je lui fais ; mais jamais il ne témoigne le moindre mécontentement. Hier encore, j’ai pris l’objectivité pour la subjectivité, et, cette nuit, je me suis endormie sur la définition de l’absolu. J’ai rêvé que j’étais dans une belle prairie, et que je regardais couler un ruisseau d’eau vive. Il me semblait qu’il y avait des paroles écrites au fond de son lit transparent, et j’y lisais toute sorte de belles choses comme dans un livre. Je me promettais de les réciter à mon maître Albertus, et je pensais qu’il serait bien content de moi. Mais, quand je me suis éveillée, je ne me souvenais plus de rien, si ce n’est d’avoir vu le ciel bien pur et bien bleu dans une eau bien claire et bien courante… Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous donné une intelligence si vulgaire ? Maître Albertus dit tous les jours : « Ce sera mieux demain ; » mais le lendemain ne vaut pas mieux que la veille… Voyons : je veux étudier ma leçon en conscience. (Elle s’assied à la table de maître Albertus, et ouvre un livre.) Essayons de retenir par cœur, car je ne comprends pas du tout. — Quand il m’explique les choses lui-même, je les conçois ; mais ses vieux bouquins me tuent. — Quels mots barbares !… — Ah ! le rossignol !… (Elle court à la fenêtre.) Non, c’est une linotte ;