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les sept cordes de la lyre

vide. Nous sommes donc tous fils de tous les hommes qui nous ont précédés et tous frères de tous les hommes qui vivent avec nous. Nous sommes tous une même chair et un même esprit. Pourtant, Dieu, qui a fait la loi universelle de la variété dans l’uniformité, a voulu que, de même qu’il n’y eût pas deux feuilles semblables, il n’y eût pas deux hommes semblables ; et il a divisé la race humaine en diverses familles que nous appelons des types, et dont les individus diffèrent par des nuances infinies. L’une de ces familles s’appelle les savants, une autre les guerriers, une autre les mystiques, une autre les philosophes, une autre les industriels, une autre les administrateurs, etc. Toutes sont nécessaires, et doivent également concourir au progrès de l’homme en bien-être, en sagesse, en vertu, en harmonie. Mais il en est encore une qui résume la grandeur et le mérite de toutes les autres ; car elle s’en inspire, elle s’en nourrit, elle se les assimile ; elle les transforme pour les agrandir, les embellir, les diviniser en quelque sorte ; en un mot, elle les propage et les répand sur le monde entier, parce qu’elle parle la langue universelle… Cette famille est celle des artistes et des poëtes. On vit de ses émotions ; on les aspire par tous les sens ; et l’esprit le plus froid, l’âme la plus austère, ont besoin des créations et des prestiges de l’art pour sentir que la vie est autre chose qu’une équation d’algèbre. Pourtant, on traite les artistes comme les accessoires frivoles d’une civilisation raffinée. La raison les a condamnés ; et, s’ils ont encore la permission de respirer, c’est parce qu’ils sont nécessaires aux sages, pour les aider à supporter l’ennui et la fatigue de leur sagesse.

albertus. Hanz, vous parlez avec amertume. Je