Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/321

Cette page a été validée par deux contributeurs.
311
coup d’œil général sur paris

monstrueux contraste ? Oh ! je sais bien qu’il est partout, et que, d’ailleurs, le devoir n’est pas de fuir la souffrance et d’apaiser son cœur dans le repos de l’égoïsme. S’il existait sur la terre un sanctuaire réservé, une société d’exception, où, dans quelque île enchantée, on pût aller s’asseoir au banquet de la fraternité, ce serait peut-être là qu’il faudrait faire un pèlerinage une ou deux fois dans sa vie, pour s’instruire et se retremper ; mais ce ne serait pas là que l’on devrait aller vivre à jamais. Car on s’y endormirait dans les délices, et on y oublierait tout ce qui cherche, lutte et gémit sur la face de la terre. Ou bien, si on n’y devenait pas insensible aux malheurs de l’humanité, on se sentirait profondément malheureux d’être ainsi associé aux suprêmes jouissances du petit nombre, et de ne pouvoir plus rien tenter pour sauver le reste des hommes. Eh bien, voilà précisément ce qu’on éprouve à Paris quand on n’est pas desséché par l’égoïsme. C’est que Paris me présente, au premier chef, la réalisation de cette fiction, dont la seule pensée épouvante mon esprit : tout d’un côté, rien de l’autre. C’est le résumé de la société universelle, vouée au désordre, au malheur et à l’injustice, avec une petite société d’exception incrustée au centre, et qui réalise en quelque sort l’Eldorado que je supposais tout à l’heure dans les régions fantastiques. Seulement, ce n’est pas au nom du principe divin de l’égalité chrétienne que cette petite société vide incessamment la coupe des voluptés humaines. Ce n’est pas même en vertu d’une loi d’égalité relative, semblable à celle qui constituait les anciennes sociétés de Sparte, d’Athènes et de Rome. Il y a bien encore une caste de citoyens privilégiés entée et as-