Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/314

Cette page a été validée par deux contributeurs.
304
les fleurs de mai

je n’ai rien à leur demander qu’elles puissent me donner ; car le temps n’est plus où j’étais poëte, c’est-à-dire seul dans la nature avec la beauté. Je suis homme ; l’homme a besoin des autres hommes ; sa vie est liée à celle de ses frères, et, si les hommes tuent son âme, c’est en vain que la nature sera féconde, c’est en vain que la terre reverdira et que les fleurs seront belles. Jacinthe blanche au cœur vert, je ne t’ai point oubliée ; tu m’as enseigné bien des choses du ciel, mais tu ne m’as rien révélé des maux de la terre.

Cyclamen de la Brenta, sauge du Tyrol, gentiane du mont Blanc, je vous ai confié des douleurs que je n’aurais pas essayé de raconter aux hommes. J’étais seul avec mon ennui ; je ne demandais rien, je n’aspirais à rien dans la société de mes semblables ; j’étais naïf, j’étais égoïste comme l’une d’entre vous. Je ne souffrais que de me sentir froissé par le vent ; je n’avais d’ennemi que l’orage qui courbait ma tête, ou que la sécheresse qui flétrissait mon sein. Vous pouviez, dans ce temps-là, me comprendre et me consoler ; je ne demandais au ciel que ce qu’il vous accorde : la puissance d’exister, la faculté d’être par soi-même et pour soi-même. Je n’avais d’autre besoin que celui qui vous fait éclore, vivre afin de vivre. Vos grâces éternellement jeunes, votre beauté éternellement riche répondaient aux aspirations de ma jeunesse aveugle. Je pouvais reprendre confiance en Dieu, comme le fait chaque créature bornée au sentiment de sa propre existence. Fleurs du torrent, filles des montagnes et des glaciers, je ne saurais plus vous confier les douleurs que l’on peut raconter aux hommes.