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cléopâtre

les a causés et veut aller chercher dans la tombe un abri contre elle, contre lui, contre le monde entier, qu’elle paraisse ! et une larme d’elle suffira pour effacer tout le passé et refaire de lui un amant plus heureux et un héros plus grand que la veille. Et, quand il succombera définitivement, ce ne sera que sous le destin ; et son amour, aussi fort que sa vie, s’exhalera avec elle, en répétant le nom adoré de Cléopâtre.

Et toi ! toi, l’objet d’une passion si vive, si profonde, si vivace, que fais-tu pour t’en montrer digne ? Elle, qui a eu peur de la flèche perdue d’un vélite romain, elle qui s’est laissé à moitié corrompre par l’éloquence du rhéteur d’Octavie triomphant, et qui a pensé vendre pour se sauver celui qui s’était perdu pour elle ; celle-là même, quand elle voit mort cet amant si grand, si beau, si généreux, si parfait, si supérieur au divin César, répudie la clémence du vainqueur, trompe la surveillance de ses gardes, et va rejoindre dans le tombeau celui qui ne l’a jamais délaissée sur la terre.

Couple étrange, qui a puisé dans les neiges de l’âge des feux plus brûlants que ceux de la jeunesse ! âmes infatigables qui ont pris dans des passions antérieures un aliment inépuisable pour un dernier et immense amour ! amants si glorieux dans leur misère, qu’on oublie le triomphateur pour ne penser qu’à eux, et qu’on préfère le sort d’Antoine mourant aimé de Cléopâtre à celui d’Octave vivant maître du monde !