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la fille d’albano

— Ma sœur, mon enfant, disait l’étranger en caressant les cheveux noirs de la fiancée, je n’arrive donc pas trop tard ?

— Non, non, tu assisteras à la noce, tu verras l’église et l’autel ; tu feras un beau tableau de la cérémonie, n’est-ce pas ? Oh ! que tu dois bien peindre, maintenant !

— Et toi, Laurence, et toi ! as-tu donc abandonné ton art ?…

— Oh ! non… Il aime tant à me voir travailler !

— Le bourgeois ? murmura l’étranger à voix basse. Sommes-nous seuls ici ?

Laurence pâlit, parcourut d’un œil inquiet les allées sinueuses du parc ; puis, après un moment d’hésitation, conduisit son frère dans la chambre qu’elle habitait, et, après en avoir fermé la porte :

— Expliquez-vous, dit-elle en se laissant tomber sur une chaise, avec une sorte de terreur.

— Mon enfant, dit l’artiste, car vingt ans de plus que toi m’ont donné le droit de te regarder comme ma fille ; as-tu bien réfléchi à ce que tu vas faire ?

— Réfléchi ?… Oui, Carlos… Je l’aime !

— Ah ! femme !… s’écria-t-il en frappant du pied, aimer un bourgeois ! toi, ma sœur ! un ampliateur de la loi écrite, un homme à métier, un homme qui mesure la vie avec un compas, et qui envoie à l’échafaud celui dont la mesure est plus petite ou plus grande que la sienne !… Écoute : tu es libre et je t’aime ; tu peux te marier, tu ne peux pas te brouiller avec moi. Ce que je t’ai écrit de Rome, je te le répète encore ; fais ta volonté. Mais je suis venu un peu tard, je le vois ; et ce n’est pas lorsque ton front est paré de la couronne du mariage que je dois espérer de te rendre à la li-