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elle avait une gaucherie qui trahissait son goût pour la liberté, et qui, chez elle, était une grâce de plus. Se croyait-elle oubliée, c’était une autre femme : son regard rêveur devenait imposant, et la douce gravité de son front ressemblait à la conscience modeste d’une supériorité involontaire.

C’était quelque chose de touchant que de voir l’amour et le respect dont madame de Nancé et son fils entouraient Laurence, quelque chose de touchant que cette adoption de l’orpheline, cimentée par le cœur, avant de l’être par la loi, que cette confiance de la femme qui, pauvre et délaissée, acceptait sans rougir les dons de son amant.

Aurélien était maire de la commune. Ne pouvant se marier lui-même, il avait mandé son adjoint, brave paysan gêné dans son habit neuf et dans la société de ses maîtres, soupirant après le moment de se débarrasser de sa cravate et de sa dignité. Mais, pour ne pas laisser de lacune entre le mariage civil et la bénédiction religieuse, on prolongeait les angoisses du bonhomme, parce que M. le curé n’était pas de retour. Le pasteur villageois avait été porter les derniers secours à un mourant fort éloigné dans la campagne, et tout le monde attendait, dans cette sorte de gêne qui s’empare de gens réunis pour jouer un rôle, et décontenancés de voir intervertir l’ordre de la représentation.

Laurence ne put résister à ce malaise, dont, moins que personne, elle avait appris à subir le supplice. Elle monta sur une terrasse parée de fleurs qui s’élevait au milieu d’un petit parc solitaire, et, là, appuyée sur le balcon, elle promena sur la campagne un regard mélancolique. C’était là son pays désor-