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le dieu inconnu

— Es-tu Eusèbe, l’ami de Pamphile ?

— Je le suis, répondit le saint apôtre.

— Eh bien, dit la Romaine expirante, viens me donner le baptême, car je veux confesser le Dieu inconnu en mourant. Il y a deux ans que je le prie et que je pleure en invoquant son secours. Pamphile me l’avait promis ; ma douleur m’est devenue chère, et mes larmes ont cessé de me brûler. J’ai vécu comme il m’a dit ; j’ai abandonné les plaisirs, et le cirque, et les festins, et les chars, et le temple des dieux impuissants ; retirée au fond de mes jardins silencieux, j’ai prié toutes les fois que j’ai senti le regret de mes funestes joies me tourmenter, et, toutes les fois, un calme miraculeux, un étrange bonheur sont descendus en moi. Je n’ai pu être instruite dans vos mystères ; il eût fallu exposer un de vous à la persécution, et j’attendais un meilleur moment. Mais la mort ne m’en laissera pas jouir. Je meurs, et je meurs en paix, avec l’espérance de voir ton Dieu, car ce que Pamphile m’a prescrit, je l’ai fait : j’ai prié avec ardeur et sincérité. J’ai dit sans cesse la prière qu’il m’avait dictée : « Vrai Dieu, fais que je te connaisse et que je t’aime !… »

La parole expira sur les lèvres de Léa ; Eusèbe versa l’eau sainte sur son front, où s’étendait déjà le voile livide de la mort, en lui disant :

— Que Dieu t’enseigne lui-même dans les cieux ce que tu n’as pu apprendre sur la terre ! L’expiation et la sincérité sont le véritable baptême qu’il exige ici-bas.

Léa sourit, et l’esclave qui la servait, s’étonnant de la beauté sublime qui se répandait sur son visage, courut chercher un miroir d’acier poli et le lui présenta en s’écriant avec naïveté :