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le dieu inconnu

la jeunesse et sa puissance. Mais quoi ! ai-je perdu mes attraits au point que la chanteuse Torquata, qui s’est usée dans la débauche, me soit préférable ? Est-ce Lycoris la Grecque, qui, veuve de neuf cents hommes, a plus de fraîcheur et de vivacité que moi ? Et, d’ailleurs, ne vois-je pas que les plus jeunes et les plus belles d’entre nous sont abandonnées comme moi pour la Prostitution aux lèvres livides ? Faudra-t-il nous montrer nues sur les théâtres ? faudra-t-il nous présenter ivres devant nos amants, pour réveiller en eux une étincelle de leurs feux endormis ?

» Et cependant, que ferons-nous, seules et méprisées, au fond de nos jardins silencieux ? Les charges de l’État, la guerre, les académies ne nous admettent point à ces travaux qui absorbent les hommes et les consolent de tout. Notre faiblesse et notre éducation nous en excluent. On nous instruit à plaire, et le premier soin de nos matrones, dès que nos cheveux flottent sur nos épaules, c’est de nous apprendre comment on les relève en tresses parfumées, et de quels joyaux on les orne, pour attirer les regards de l’homme. Nos travaux les plus sérieux se rapportent à la parure, et les seuls entretiens où nous ne soyons pas déplacées sont des entretiens qui allument nos sens et nous convient à la volupté. Et cependant, si nous nous conservons chastes, nous n’inspirons à nos époux qu’une froide estime et les langueurs de l’ennui. Si nous cherchons à les retenir sur notre sein par de jaloux emportements, ils nous soupçonnent et nous méprisent.

» Voilà, ô Dieu de Galilée ! voilà comme on traite les femmes de Rome ! voilà ce que sont devenues ces dames autrefois si respectées, qui donnaient leurs