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carl

étrange, je tombai endormi à côté de Carl. Le temps était superbe, et, quand nous nous éveillâmes, le soleil était brillant et généreux. J’accablai mon jeune ami de questions, mais il me fut impossible d’en tirer aucun éclaircissement : il ne se souvenait de rien, et n’était pas moins surpris que moi de tout ce que je lui racontais. Enfin, lorsque je lui parlai à plusieurs reprises de la phrase que j’avais entendue, il sourit d’un air étrange et me pria de la lui chanter. Son œil s’anima en l’écoutant ; puis il rougit, baissa les yeux et me montra une sorte de confusion demi-niaise et demi-rusée. Je crus alors qu’il se moquait de moi et que j’étais le jouet de je ne sais quelle inexplicable comédie ; je le réprimandai fort rudement et le menaçai, s’il ne me révélait toute la vérité, de le renvoyer à son père. Alors, il se prit à pleurer, et, se jetant à genoux, il jura de se confesser si je voulais lui tout pardonner d’avance. Je le jurai, et il m’apprit qu’il était passionné pour la musique ; que cette passion, comprimée par son père, avait fait le malheur de sa vie ; que ses véritables besoins d’artiste, refoulés par les horribles traitements et les grossières occupations dont j’avais été témoin, avaient miné lentement sa santé et peut-être altéré sa raison. Il avait fait tous ses efforts pour arracher de son esprit la pensée de cultiver ses dispositions naturelles, lorsqu’un événement de peu d’importance était venu les réveiller. Un jeune homme brun et d’une belle figure, avait couché, cinq ans auparavant, à l’hôtel de l’Aigle blanche ; il avait fumé, écrit et fait de la musique, seul, dans sa chambre jusqu’à cinq heures du matin ; une phrase entre autres revenait, errait sans cesse sur ses lèvres ; il la répétait aussi sur sa