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carl

des morts me visite, ouvre mon entendement, afin que je puisse avoir commerce avec les habitants du monde invisible, sans perdre la raison, ou sans tomber foudroyé !

Cette prière, exhalée du fond du cœur, me rendit le courage. Je levai la tête et vis courir sur la rampe supérieure une forme légère. Je l’appelai du nom de Carl à plusieurs reprises ; mais elle n’entendit ni ne répondit, et continua à descendre ou plutôt à glisser vers moi avec une rapidité surnaturelle.

Un instant, je me sentis si troublé, que j’hésitai à prendre la fuite, et à descendre le plus vite possible le sentier de la cascade. Mais je fis un signe de croix, et, surmontant ma faiblesse, je me plaçai au milieu du chemin, les bras étendus, et je conjurai le fantôme.

Mais il venait toujours, et, quand il fut à quelque pas de moi, je reconnus distinctement Carl, mon jeune serviteur. Délivré d’une grande anxiété, je marchai à sa rencontre et lui adressai la parole ; mais il ne me vit pas, ne m’entendit pas, et, avant que j’eusse étendu les bras de nouveau pour l’arrêter, il passa près de moi, si adroitement, qu’il ne m’effleura même pas, quoique le sentier fût à peine assez large pour une personne, et que le moindre choc eût dû nous faire rouler tous deux dans les précipices ; puis il continua de descendre avec la rapidité d’une flèche, et, avant que je fusse revenu de ma surprise, je l’avais perdu de vue.

Un affreux jurement m’échappa ; mais aussitôt des craintes superstitieuses s’emparèrent de nouveau de mon imagination. Je pensai que Carl était tombé