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carl

serait inutile, je me mis à marcher devant moi, cherchant le banc le mieux abrité pour y dormir à la clarté des étoiles.

Le porche de l’église s’offrit à nous ; c’était du moins un ciel de lit. J’allais m’y installer lorsque Carl, essayant de pousser la porte, vit qu’elle cédait et s’écria d’un ton biblique :

— La maison du Seigneur est ouverte aux pèlerins.

— En ce cas, Dieu est plus hospitalier que les hommes, lui répondis-je.

Nous entrâmes ; la lampe brûlait au milieu du chœur et faisait vaciller sur les murs les ombres trapues des colonnes romanes. Je m’étendis au premier endroit venu, la tête sur mon sac. Carl alla se blottir dans un confessionnal. Le sommeil eut bientôt fermé mes paupières. Ce fut un sommeil pénible. La dalle était froide, la fièvre courait dans mes veines ; mais je n’avais pas la force de me lever pour chercher un endroit plus sain. Je fus en proie à des rêves lugubres, il me sembla que j’assistais de nouveau aux derniers moments de mon pauvre ami, Carl le maestro. Je le voyais encore, les yeux éteints, les lèvres contractées, me tendant la main comme un dernier adieu. Puis tout à coup son œil s’entr’ouvrait et brillait d’un éclat céleste ; l’hymne de la grâce, l’élan de la foi, la prière de l’espérance, s’exhalaient en harmonie grave de sa poitrine moribonde. L’hymne s’acheva dans le ciel ; j’essayai de soulever l’agonisant : il n’était plus !

Je m’éveillai, et ce rêve (reproduction fidèle des heures douloureuses écoulées naguère au chevet de mon ami) me laissa une telle impression de tristesse, que je me demandai si Carl n’avait pas survécu à sa