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lettres à marcie

Le malheur des temps présents est un hommage terrible mais éclatant rendu à la vérité. Si nous l’avions étouffée gaiement dans nos cœurs, si nous étions descendus avec sincérité dans les abîmes du doute, si nous avions perdu la foi sans gémir et sans blasphémer, il serait prouvé que Dieu n’est pas nécessaire à l’homme, et alors Dieu ou l’homme n’existerait pas. Mais nous souffrons, mais nous nous sentons pleins de terreur et de colère, et les hommes des faux biens souffrent plus encore sous leur masque et derrière leur forfanterie que nous, rêveurs et poëtes, dans nos détresses solitaires. Et toute cette douleur est un autel qui s’élève, c’est un chant barbare encore et féroce comme le furent dans un autre ordre d’idées ceux des druides, et pourtant c’est un hymne à la vérité. À travers nos souffrances et nos délires, nous ne pouvons plus concevoir qu’un Dieu irrité, ennemi de l’homme, et, pour l’apaiser, nous lui offrons des hécatombes sinistres, les larmes de nos nuits sans repos, le sang de nos cœurs sans espoir. Le suicide immole encore des victimes humaines dans la nuit et dans l’orage.

Mais le nuage sombre qui voile la face du Seigneur se dissipera ; ne regardons pas en arrière, ne nous arrêtons pas où nous sommes. Si nous ne pouvons marcher, traînons-nous. Tant qu’il y aura de l’espace devant nous, il y aura aussi de l’espérance ; quelque effrayante que soit notre situation, luttons contre elle ; quelque éloigné que paraisse le terme, soyons sûrs qu’il importe beaucoup d’avoir fait un pas pour s’en rapprocher, fallût-il rester encore trois cents ans dans le désert, puisque le moindre terrain gagné amène l’accomplissement des desseins providentiels