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lettres à marcie

elles ne peuvent les combler. Au milieu de cette misère si réelle et si profonde, quel intérêt voulez-vous qu’excitent les plaintes superbes de la froide intelligence ? Le peuple a faim ; que les beaux esprits nous permettent de songer au pain du peuple avant de songer à leur édifier des temples. Les femmes crient à l’esclavage ; qu’elles attendent que l’homme soit libre, car l’esclavage ne peut donner la liberté. Laissez les temps s’accomplir et les idées venir à terme ; cela ne sera peut-être pas aussi long qu’on l’espère d’un côté et qu’on le craint de l’autre. En attendant, faudra-t-il compromettre l’avenir par l’impatience du présent ? Faudra-t-il à tout hasard, pour satisfaire la fantaisie personnelle, trancher des questions que des siècles n’ont pas encore résolues, risquer tout en voulant tout emporter d’assaut, semer tous les trésors de courage et de dévouement sur un sol qui n’est pas encore assis, au pied des volcans à peine fermés ?

Vous, Marcie, qui n’avez jamais pu supporter la pensée d’appartenir, soit par nécessité, soit par caprice, à tout autre qu’un homme sérieusement aimé de vous, n’avez-vous pu trouver en vous-même assez de sagesse pour repousser le désir du vain pouvoir et de la vaine gloire ? Des velléités d’ambition se sont trahies chez quelques femmes trop fières de leur éducation de fraîche date. Les complaisantes rêveries des modernes philosophes les ont encouragées, et ces femmes ont donné d’assez tristes preuves de l’impuissance de leur raisonnement. Il est à craindre que les vaines tentatives de ce genre et ces prétentions mal fondées ne fassent beaucoup de tort à ce qu’on appelle aujourd’hui la cause des femmes. Les femmes ont des