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lettres à marcie

mon cœur. Et, à mesure que l’étoile pâlissait, la flamme de mon coupable amour s’affaiblissait. Et, à mesure que l’orient s’embrasait, mon espérance et ma foi se ranimaient. Enfin, quand le premier bord du soleil a dépassé la haie du jardin, j’ai été saisie comme d’une extase ; j’ai cru voir la face du Sauveur rayonner dans ce globe de feu, mon cœur s’est brisé en sanglots de bonheur, et je me suis levée par un mouvement involontaire, en tendant les bras vers lui et en m’écriant : Je jure.

» Tout est dit, mon oncle, il ne faut plus me parler de mariage ; depuis un quart d’heure, je me sens si joyeuse, que je vois bien que j’ai pris le bon parti et que j’ai accompli la volonté de Dieu. Que ni vous ni mes sœurs ne m’en fassiez un mérite. Vous n’existeriez pas que je prendrais encore le parti de conserver à Dieu cette âme libre qui jusqu’ici n’a adoré que lui, et qui n’a jamais trouvé ni souffrance, ni mécompte, ni effroi dans cet amour.

» Maintenant, je pars pour Brescia. Je descendrai chez notre cousine l’aveugle. Je lui dirai que c’est vous qui m’envoyez acheter une devanture d’autel, et je vous attends, cher oncle. À bientôt, j’espère. »

Lorsque Giulia et Luigina, les deux autres sœurs, connurent cette lettre, elles voulurent courir se jeter dans les bras d’Arpalice ; mais le curé, qui avait choisi, pour la leur communiquer, l’heure à laquelle Arpalice cultivait ses fleurs, les pria, au contraire, de ne point lui en parler. « Redoublez de tendresse et de soins pour elle, leur dit-il, rendez-la plus heureuse encore que vous ne faites, s’il est possible ; aimez-la, estimez-la davantage, si vous pouvez ; laissez-lui de temps en temps entendre, dans les occasions déli-