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pas pu. Et, si elles s’étaient mariées, peut-être n’eussent-elles pas fait d’heureux ménages ; et voilà toutes nos existences, si tranquilles, bouleversées, voilà notre bonheur changé en soucis, en regrets, en déplaisirs sans remède et sans terme. Enfin mon cerveau n’était pas malade : ce jour-là, je vis tout d’un coup, et aussi clairement que si j’eusse lu dans un livre, tous les inconvénients de ce mariage ; je vous les démontrai à vous-même, et je vous persuadai de m’affermir dans mon refus si je venais à changer malheureusement d’avis. Mais, après ce refus, les plaintes de milord devinrent si grandes, qu’elles endormirent ma raison ; et, quoique je ne lui aie pas donné par mes actions, mes paroles ou mes regards, la moindre espérance, voilà qu’aujourd’hui, après lui avoir écrit assez durement de me laisser en repos et de ne jamais compter me faire changer d’avis, je me suis évanouie dans ma chambre, et, après être revenue à moi-même, je me suis sentie fondre en larmes, comme si on fût venu m’annoncer votre mort ou celle de mes sœurs. Épouvantée de me sentir si faible, et ne comprenant rien à la force subite de cette inclination, j’ai vu qu’il était temps de prendre quelque parti irrévocable, car je n’étais plus sûre de moi. J’ai donc ajouté au bas de ma réponse à milord en peu de mots que je m’en allais, et ne reviendrais que lorsqu’il aurait lui-même quitté le pays. J’ajoutai que je croyais trop à son honneur pour craindre qu’il laissât ainsi errer longtemps une pauvre fille sans asile, éloignée de sa maison et de ses parents. J’espère qu’il ne me fera pas attendre son départ, et que vous viendrez me chercher, mon cher oncle, aussitôt qu’il se sera mis en route.