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lettres à marcie

ment lorsque je me croyais si affermie, est un mystère pour moi. Je ne comprendrai jamais comment un homme que je ne connais pas a pu m’inspirer plus d’attachement pendant quelques instants que vous et mes sœurs. Un sentiment si injuste, si aveugle, ne peut être qu’une embûche de Satan.

» Lorsque je l’ai repoussé la première fois, vous m’avez dit de bien réfléchir, vous m’avez engagée à suivre mon penchant, vous m’avez répété les paroles sacrées : « Il est écrit : La femme quittera son père et sa mère. » Je sais que c’est la loi des anciens temps. Mais, aujourd’hui qu’il y a tant de filles à marier qui ne demandent pas mieux, je ne crois pas que les hommes soient en peine de trouver à s’établir ; et, dès ce premier jour, comme j’avais l’esprit calme et que je ne sentais rien pour milord, il m’a semblé que je devais refuser, par amour pour mes deux pauvres sœurs, une fortune si différente de la leur. Madame sa mère m’a bien dit qu’elle les doterait, qu’elle les emmènerait avec moi ; vous ne pouviez quitter votre état, vous, mon oncle, et je n’ai pu souffrir l’idée de me séparer de vous, et de cette chère petite maison où nous vivons si heureux, pour aller porter de grandes robes et rouler carrosse dans des pays que je ne connais pas ; et puis je me suis dit que, comme ce n’était pas la fortune qui pouvait me tenter et me faire épouser milord, ce n’était pas non plus en faisant part de cette fortune à mes sœurs que je pourrais les consoler si elles ne trouvaient pas le bonheur dans ma nouvelle famille. Et puis encore, que sait-on ? j’aurais peut-être été heureuse dans le mariage, et mes sœurs, voyant cela, auraient peut-être souhaité se marier aussi, et peut-être qu’elles ne l’auraient