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lettres à marcie

plus pauvres, sous notre main, sous nos pieds en apparence, il y a des hommes meilleurs que nous, des hommes plus forts, plus intelligents, plus patients que nous. De grossiers habits et de rudes manières couvrent des trésors de bonté ou de sagesse, que nous méconnaissons ou que nous dédaignons d’apercevoir. Nous demandons les cimes du Liban et les sapins du Morven, comme si la vie d’un homme vertueux, le sourire d’une âme évangélique n’était pas un plus beau spectacle que toutes les montagnes et toutes les forêts. Comme si, d’ailleurs, les étoiles ne brillaient pas sur notre tête de tous les points de la terre, comme si une nuance de plus à la pourpre du matin pouvait guérir les blessures d’une âme fermée à toute sympathie pour ses semblables. Tenez, Marcie, nous sommes infortunés ! Toute notion du devoir est effacée en nous. Nous avons des obligations sacrées, nous ne cherchons pas notre remède dans leur accomplissement. Votre mère est aveugle, mon enfant est malade. Les soigner, les distraire, leur donner tout le bonheur que nous n’avons pas, rendre notre tendresse si ingénieuse et si active, qu’ils ne regrettent pas la santé, et se jettent dans notre sein chaque soir en disant ces mots admirables que j’ai entendus sortir d’une bouche chérie : « Je prie Dieu de ne pas me guérir vite ; » ne serait-ce pas là, si nous étions vertueux, le but de notre vie, la récompense de nos fatigues, la gloire douce et cachée de nos souvenirs ? Aurions-nous le loisir de songer à l’impossible si nous faisions seulement le nécessaire ? Serions-nous désespérés si nous rendions l’espérance à ceux qui n’ont pas d’autres ressources ? Tenez, Marcie, je suis si triste et si abattu aujourd’hui, je confonds telle-