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lettres à marcie

Ces inquiétudes m’affligent et ne me retracent que trop celles qui dévorent souvent mon propre cœur. Je ne suis pas plus héroïque que vous, Marcie ; mais ne sommes-nous pas insensés dans nos mécontentements, et n’est-ce pas une chose digne de pitié que de voir de si chétifs atomes avoir besoin de tant d’espace et de bruit pour y promener une misère si obscure et si commune ? Nous ne sommes qu’enflure et vanité ; nos plaintes ne sont qu’emphase et blasphème. Qu’avons-nous donc fait de si grand pour trouver les autres hommes si petits et vouloir fuir jusqu’à la trace de leurs pas ? Marcie, notre esprit est malade, et, quand nous cherchons à nous préserver d’un mal, nous tombons dans un pire. Nous haïssons les vaines occupations du monde, ses paradoxes impies, ses fausses maximes. Nous fuyons ce commerce dangereux, cet air délétère. Mais, au lieu de chercher autour de nous des âmes simples et des esprits droits, nous nous jetons dans la haine du genre humain ; nous osons devenir orgueilleux dans le sens méchant et superbe du mot ; car l’orgueil a deux faces, comme toute faculté humaine, une divine et une infernale. Eh bien, quand nous avons conquis la première, si nous cessons un instant de nous observer, nous tombons dans l’autre ; et alors, avec notre vaine sagesse et notre fausse grandeur, nous devenons pires que les hommes corrompus du siècle. Nous craignons de nous salir en les touchant, nous ne pouvons respirer dans leur air. Sublime philosophie chrétienne, est-ce là ce que tu nous enseignais ?

Et cependant, Marcie, la grandeur est partout sans que nous nous en doutions. Autour de nous, sous le voile d’une humble obscurité, dans les conditions les