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posa. On la pressa d’épouser un homme vain, que toutes les femmes vaines recherchaient, et qui, pour autoriser son insolence, avait besoin des vanités de la richesse. La jeune héritière eut un moment de doute, et l’esprit de Dieu s’affaiblit durant quelques jours dans son âme. Elle avait dévoré l’humiliation de sa laideur, mais elle ne s’était pas assez affermie dans l’amour des vrais biens. On lui persuada que son mari l’aimerait pour sa bonté, que cet amour la rendrait heureuse, qu’elle serait enviée de ses belles et orgueilleuses rivales. Elle n’avait pas une haute intelligence, quoiqu’elle eût un noble cœur. C’était un esprit médiocre avec un puissant caractère. Trop tard, elle connut son erreur ; ses vertus ne causèrent qu’ennui et dédain. Elle était dévote, disait le mari, parce qu’elle était laide. Elle recherchait l’amour et la reconnaissance des pauvres, parce qu’il lui fallait bien être aimée et vantée par quelqu’un. Je ne vous ferai pas l’affreux détail de ce qu’elle eut à souffrir. Tant d’infortune ranima sa piété ; sa santé empira, et, en même temps, elle sentit son courage se réveiller. Je l’ai vue dépérir avec stoïcisme, et j’ai deviné ses vertus et ses maux plus que je ne les ai connus. Je crois la voir encore couchée sur l’or et la soie, expirant dans les plis de l’hermine, sous des lambris de lapis et d’agate, et disant que, jusqu’à sa dernière heure, elle voulait, pour se mortifier, contempler ce faste exécré, ces insignes de sa splendeur funeste. Elle fut calme et réservée jusqu’au bout ; je n’ai jamais vu boire un plus amer calice avec moins d’hésitation et de regret. Sa famille n’entendit d’elle aucune plainte, et son mari ne fut pas même troublé dans ses plaisirs par le spectacle de ses souffrances. Nul n’a su quels rêves