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les sept cordes de la lyre

albertus. Tu renoncerais donc sans regret, Wilhelm, à cultiver ton intelligence, à élargir le cercle de tes idées, à élever ton âme vers l’idéal ?

wilhelm. Oh ! voyez-vous, maître, j’aime. Cela répond à tout. Si, au temps de sa richesse, Meinbaker, au lieu de sa charmante fille, m’eût offert son immense fortune, et avec cela les honneurs qu’on ne décerne qu’aux souverains, je n’eusse pas hésité à rester fidèle au culte de la science, et j’aurais foulé aux pieds tous ces biens terrestres pour m’élever vers le ciel. Mais Hélène, c’est pour moi l’idéal, c’est le ciel, ou plutôt c’est l’harmonie qui régit les choses célestes. Je n’ai plus besoin d’intelligence ; il me suffit de voir Hélène pour comprendre d’emblée toutes les merveilles que l’étude patiente et les efforts du raisonnement ne m’eussent révélées qu’une à une. Cher maître, vous ne pouvez pas comprendre cela, vous, c’est tout simple. Mais, moi, je crois que par l’amour j’arriverai plus vite à la foi, à la vertu, à la Divinité, que vous par l’étude et l’abstinence. D’ailleurs, il en serait autrement que je serais encore résolu à perdre l’intelligence afin de vivre par le cœur…

albertus. Peut-être tes sens te gouvernent à ton insu, et te suggèrent ces ingénieux sophismes, que je n’ose combattre, dans la crainte de te paraître infatué de l’orgueil philosophique. Cher enfant, sois heureux selon tes facultés, et cède aux élans de ta jeunesse impétueuse. Un jour viendra certainement où tu regarderas en arrière, effrayé d’avoir laissé ton intelligence s’endormir dans les délices…

wilhelm. De même, maître, qu’après une carrière consacrée aux spéculations scientifiques, il arrive à l’homme austère de regarder dans le passé, effrayé