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les sept cordes de la lyre

wilhelm. On me l’avait dit, maître, et je ne pouvais le croire. Serait-il vrai, en effet, que vous n’eussiez jamais aimé ?

albertus. Il est trop vrai, mon ami. Mais tout regret serait vain et inutile aujourd’hui.

wilhelm. Jamais aimé ! Pauvre maître !… Mais vous avez eu tant d’autres joies sublimes dont nous n’avons pas d’idée.

albertus, brusquement. Eh oui ! sans doute, sans doute. — Wilhelm ! tu veux donc épouser Hélène ?

wilhelm. Cher maître, vous savez bien que, depuis deux ans, c’est mon unique vœu.

albertus. Et tu quitterais tes études pour prendre un métier ? car enfin il te faut pouvoir élever une famille, et la philosophie n’est pas un état lucratif.

wilhelm. Peu m’importe ce qu’il faudrait faire. Vous savez bien que, lorsqu’il fut question de mon mariage avec Hélène, le vieux luthier Meinbaker, son père, avait exigé que je quittasse les bancs pour l’atelier, l’étude des sciences pour les instruments de travail, les livres d’histoire et de métaphysique pour les livres de commerce. Le bonhomme ne voulait pour gendre qu’un homme capable de manier la lime et le rabot comme le plus humble ouvrier, et de diriger sa fabrique comme lui-même. Eh bien, j’avais souscrit à tout cela : rien ne m’eût coûté pour obtenir sa fille. Déjà j’étais capable de confectionner la meilleure harpe qui fût sortie de son atelier. Pour les violons, je ne craignais aucun rival. Dieu aidant, avec mon petit talent et le mince capital que je possède, je pourrais encore acheter un fonds d’établissement, et monter un modeste magasin d’instruments de musique.