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les sept cordes de la lyre

Je vois des palais, des armées, des fêtes, un grand luxe, une joie bruyante, en effet ! je vois et j’entends ruisseler l’or sur les tables et dans les coffres ! Ce sont les larmes du pauvre, la sueur de l’ouvrier, le sang du soldat qui coulent sur ces tables et qu’on serre dans ces coffres !… Chacune des pièces de cette monnaie devrait être frappée à l’effigie d’un homme du peuple ; car il n’est pas une de ces pièces de métal qui n’ait coûté la santé, l’honneur ou la vie à un homme du peuple !

Je vois des monarques assis sur des trônes élevés, autour desquels les nations se prosternent et que garde le triple rempart d’airain des armées ; mais j’entends aussi le peuple qui menace et qui pleure aux portes du palais ; j’entends les arbres des jardins royaux qui tombent sous la cognée, et les pavés qui s’entassent avec les cadavres pour fermer la marche aux soldats sanguinaires ; j’entends les cris de l’émeute, l’hymne généreux de la délivrance, le bruit des canons, le craquement des édifices qui s’écroulent sur les vaincus et sur les vainqueurs ; j’entends le tocsin terrible qui ébranle les vieilles tours et qui sonne d’une voix haletante la victoire et les funérailles !

J’entends aussi la parole sonore des nombreux orateurs ; j’entends le mensonge et le blasphème étouffer la parole du juste ; j’entends les applaudissements effrénés de la foule qui porte en triomphe les délateurs et les faussaires !

Je vois de majestueuses assemblées, et j’entends ce qu’on y discute. Quelques-uns disent qu’il s’agit de soulager la misère du peuple ; tous répondent que le peuple est trop riche, trop heureux, trop puissant ; et