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les sept cordes de la lyre

ment. Les mêmes cordes que j’ai brisées à cette lyre se sont brisées au fond de mon âme. Depuis hier, l’idée de l’infini s’est voilée en moi : le doute amer a contristé toutes mes pensées, et, depuis un instant, ma confiance en Dieu s’est évanouie comme ma foi. Il me semblait, pendant qu’Hélène improvisait en regardant la lune, que je pourrais bientôt comprendre les secrets de sa poésie étrange. La nature s’embellissait à mes yeux, et, en même temps qu’une mélancolie profonde s’emparait de moi, j’éprouvais un charme inconnu à savourer ces langueurs d’une contemplation à la fois chaste et voluptueuse auxquelles je n’avais jamais osé me livrer. Oui, je comprenais ce qu’il y a de religieux dans le doute et ce qu’il y a de divin dans la rêverie… Et maintenant, ce monde poétique s’est déjà écroulé. Une voix aigre a jeté un cri de malédiction sur la terre épouvantée. La lune ne répand plus sa molle clarté sur les gazons, et les insectes cachés sous l’herbe ne sèment plus leurs petites notes mystérieuses dans le silence solennel de la nuit. La chouette glapit et s’envole vers le cimetière ; le ruisseau traîne de longs sanglots, comme si sa naïade déchirait ses membres délicats sur les cailloux tranchants ; le vent froisse les feuilles avec colère, et sème les fleurs sur le gravier ; les reptiles sifflent, et les ronces se dressent sous mes pieds. Tout pleure, rien ne chante plus ; et il me semble que c’est moi qui ai troublé la paix de cette nuit sereine en évoquant le désespoir par je ne sais quel maléfice !… Ô mon Dieu ! pourquoi ai-je sacrifié à une vaine sagesse les plus douces impressions de ma vie ? Pourquoi cette âpre résistance, quand une destinée nouvelle pouvait s’ouvrir devant moi ? Que n’ai-je cédé au penchant qui m’entraînait