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les sept cordes de la lyre

la perfection. (Méphistophélès s’envola et disparaît dans la brume de la rivière.)


Scène IV. — ALBERTUS, se ranimant peu à peu.

Quelle affreuse vision ! Ne l’avez-vous pas vue, maître Jonathas ? C’était un spectre hideux. Toutes les souffrances de la perversité semblaient avoir creusé ses joues livides. Un rire amer, triomphe d’une haine implacable, entr’ouvrait ses lèvres glacées ; et dans son regard j’ai vu toutes les fureurs de l’injustice, toutes les ruses de la lâcheté, toute la rage impitoyable d’un désespoir sans ressources ! Quel est cet être infortuné dont l’aspect foudroie et dont le regard déchire ? Dites, Jonathas, le connaissez-vous ?… Mais où donc est le vieux juif ? Je suis seul, seul dans les ténèbres !… Mes cheveux sont encore dressés sur ma tête !… Ah ! quelle faiblesse s’est donc emparée de moi ? Quelle douleur est tombée sur ma poitrine et l’a brisée, comme un marteau brise le verre ?… (voyant la lyre à ses pieds.)

Ah ! je me souviens ! J’ai porté encore une fois ma main impie sur cette relique sacrée, dépôt d’un ami mourant, héritage d’une fille pieuse. J’ai voulu détruire ce chef-d’œuvre d’un artiste, cet instrument, source des seules joies qu’éprouve la triste Hélène. Il y avait dans cette lyre un mystère que j’aurais dû respecter ; mais mon orgueil, jaloux de ne pas comprendre son langage, et les perfides conseils de ce juif sophiste m’ont égaré… Pauvre Hélène ! que te restera-t-il, si tu ne peux chanter ni la force ni la douceur du Tout-Puissant ? Mon crime porte avec lui son châti-