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les sept cordes de la lyre

par la mémoire te reporter aux lieux qu’autrefois tu habitais par la pensée ?

l’esprit de la lyre. Ma mémoire s’éteint, ô fille des hommes ! Depuis que je t’aime, je perds le souvenir de tout ce qui est au delà des confins de la terre. Interroge avec moi l’univers, car je ne puis plus rien t’apprendre que ce qui existe ici-bas. Ne sens-tu pas toi-même une langueur délicieuse s’emparer de ton être ? N’éprouves-tu pas qu’il est doux d’ignorer, et que sans l’ignorance l’amour ne serait rien sur la terre ? Aimons-nous, et renonçons à connaître. Dieu est avec nous, car il est partout ; mais sa face nous est voilée, et nous sommes désormais l’un à l’autre l’image de Dieu.

hélène. J’espérais que tu me révélerais toutes choses. Tu me l’avais promis, et déjà nous avions pris ensemble notre vol vers les sphères étoilées. Pourquoi renonces-tu déjà à m’initier ? Ne saurais-tu me conduire dans cette étoile qui brille là-haut, à cent mille abîmes au-dessus de la lune ? C’est là que je voudrais aller. Mais tu ne veux même pas me conduire dans la plus voisine des planètes !

l’esprit. Je ne le puis. Je suis lié par les cordes de la lyre et par l’amour que j’ai conçu pour toi. Fille des hommes, ne me reproche pas la chaîne dont tu m’as chargé. Je ne suis plus un esprit céleste ; je ne sais même plus s’il existe un autre ciel que celui qu’on aperçoit de cette rive, à travers la cime des arbres. Ton sein est mon univers ; uni à toi, je comprends et je goûte les beautés du monde que tu habites. Vois comme cette nuit est sereine, comme les voix de ce monde sont harmonieuses ; comme elles se marient tu concert des astres, et comme, sans savoir le sens