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les sept cordes de la lyre

tique, mot nouveau, obscur et indéfini, comme l’état qu’il désigne… Mais enfin ; Hélène n’a pu, dans l’inaction où dorment ses facultés, s’élever vers les sommets de la métaphysique, tandis que, moi qui travaille depuis trente ans à agrandir mon intelligence, je ne puis percer le mystère de cette algèbre inconnue ?… Maudite corde qui se casse ! Quelle horrible plainte est sortie de la lyre !… Tout mon sang s’est glacé dans mes veines. Ah ! mon pauvre esprit est fatigué, et je ne suis pas éloigné peut-être d’avoir des hallucinations… Le cerveau s’épuise plus en une heure à s’abandonner à des chimères qu’il ne ferait en un an à suivre le fil conducteur de la logique… Aussi, pourquoi vouloir bâtir dans le vide ? Quoi ! la parole humaine, cet attribut divin qui distingue l’homme de la brute, et qui sert à déterminer, à préciser, à classer les idées les plus abstraites, à rendre les propositions les plus ardues aussi claires que la lumière du jour, serait une langue vulgaire, et la cadence du rossignol serait la langue de l’infini ? Maudits paradoxes des artistes et des poëtes, vous ne servez qu’à égarer le jugement ! (La seconde corde d’or se brise dans les mains d’Albertus.)

Encore ! Cette plainte amère me déchire l’âme ! Quelle puissance les émotions nerveuses peuvent exercer sur le cerveau ! Puissance fatale et dangereuse, le sage doit se tenir en garde contre toi… Les arts devraient être proscrits de la république idéale… Non ! non ! des sons ne sont pas des idées… La musique peut tout au plus rendre des sensations… et encore sera-ce d’une manière très-vague et très-imparfaite…

thérèse, accourant. Maître Albertus, Hélène est réveillée ; elle cherche sa lyre avec inquiétude.